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Tumulti e ordini

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Le blog de Thierry Ménissier


La philosophie politique de Spinoza, 11 : relations concrètes de la politique et de la religion

Publié par Thierry Ménissier sur 13 Janvier 2009, 00:01am

Catégories : #Spinoza

La philosophie politique de Spinoza, 11 : relations concrètes de la politique et de la religion
 

3.4. Politique et religion, leurs relations concrètes :


La libéralité en matière de religion se déduit de l’Etat libre – composition des orientations prises par les substances individuelles exprimant leur droit naturel. Par ailleurs, le comportement produit par la religion vraie se confond avec la vertu, et donc la pratique authentique d’un culte est tout à fait compatible avec une attitude civique, avec celle que peut réclamer pour ses membres tout Etat qui les respecte, c’est-à-dire tout Etat non despotique

Cela dit, n’y aurait-il pas ici deux attitudes pieuses légitimes ? D’une part, celle du sage : dans l’Ethique, la pitié se déduit de la vertu entendue comme fortitudo, soit comme force ou comme fermeté d’âme (qui consiste à agir d’après la raison en vue de se conserver et en ayant des idées adéquates)1. D’autre part, celle du fidèle telle que décrite dans TTP en ces termes :


« …La parole éternelle de Dieu, son pacte et la vraie religion sont divinement écrits dans la pensée humaine ; c’est là la véritable charte de Dieu qu’il a scellée de son sceau, c’est-à-dire de son idée, comme d’une image de sa divinité »2.


Le seul commandement de la vraie foi, ajoute Spinoza3, c’est celui qui prescrit d’être obéissant à la loi de Dieu, ce qui consiste à aimer son prochain comme soi-même. De plus, ce même chapitre peut se comprendre à la lumière de la distinction des ordres opérée par Pascal : le domaine de la pitié ne peut être celui de la dispute et de la controverse. :


« …entre la foi ou la théologie et la philosophie, il n’y a nul commerce, nulle parenté ; nul ne peut l’ignorer qui connaît le but et le fondement de ces deux disciplines, lesquels sont entièrement différents »4.


La foi ne peut donc brimer la philosophie que de façon illégitime ; le chapitre XV ajoute :


« Je ne peux donc assez m’étonner que l’on veuille soumettre la raison, ce plus grand des dons, cette lumière divine, à la lettre morte que la malice humaine a pu falsifier, que l’on puisse croire qu’il n’y a pas crime à parler indignement contre la raison, cette charte attestant vraiment de la parole de Dieu, à la prétendre, corrompue, aveugle et perdue, alors qu’ayant fait une idole de ce qui n’est que la lettre et l’image de la parole divine, on tiendrait pour le pire des crimes une supposition semblable à son égard »5.


En d’autres termes, le fait de vouloir soumettre l’enseignement de la raison au respect des Ecritures consiste très exactement à commettre un crime contre l’esprit à l’aide de la lettre. Dans la même perspective d’une critique des champs d’expression légitimes entre les disciplines issues du croire et du savoir, il est nécessaire de démentir les prétentions de la théologie à se faire passer pour une science6. La Bible n’est nullement un livre savant qui contient de hautes spéculations, mais « seulement des vérités très simples et qui sont aisément percevables à l’esprit le plus paresseux ». Il est par conséquent impossible de croire les théologiens lorsqu’ils prétendent détenir une vérité supérieure à celle délivrée par la lumière naturelle.

La solution préconisée par Hobbes au problème de la confusion des ordres consistait à affirmer que l’Eglise doit être subordonnée à la puissance politique7 ; cette solution, Spinoza la rejette. La liberté de culte semble impliquer pour les Eglises une certaine latitude à l’égard de l’Etat.

Cependant, le Hollandais ne cesse de se battre sur le terrain de la controverse dogmatique : la religion révélée, estime-t-il, repose sur un contre-sens. Parce qu’elle est fondée sur l’idée de révélation, elle implique l’existence une volonté extrinsèque à celui qui se représente Dieu. L’Ethique8 met ainsi en relief la contradiction qu’il y a à soutenir l’existence de Dieu comme volonté législatrice. La fausseté de la religion révélée implique l’impossibilité d’une théologie vraiment savante, ou efficace en tant que savoir de la révélation, et aussi le fait que la théocratie (gouvernement au nom de la volonté révélée de Dieu) est un régime contradictoire, sauf en tant que régime populaire (ce que font les Hébreux avec leur régime). Le TTP reprend cette argumentation pour montrer que toute autorité est d’origine humaine9. Certes, les lois de Moïse ont eu besoin de l’autorité politique pour se soutenir, parce que ce qui a causé leur mise en œuvre est fondamentalement politique. De ce fait, « si chacun avait eu la liberté d’interpréter à sa guise les lois de l’Etat, la société n’aurait pu subsister, elle serait aussitôt tombée en dissolution et le droit public fût devenu droit privé »10. En revanche, lorsqu’il est question de la religion universelle, qui relève « de la simplicité et de la candeur de l’âme », « elle n’est soumis à aucun canon, à aucune autorité publique, et nul absolument ne peut être contraint par la force ou par les lois à posséder la béatitude ». Le fondement de la vraie religion est le jugement propre et libre de chacun ; et c’est pourquoi, dans un Etat régi par la raison, chacun peut en retour juger la religion. Le

catholicisme, plus proche de la vraie religion que le judaïsme, est donc mal venu de proposer une autorité extérieure en la personne du Souverain Pontife. Et l’on comprend rétrospectivement pourquoi Spinoza écrit à plusieurs reprises que le péché est une question politique, car toute qualification ou prescription qui paraît transcendante vient de l’homme et de son capacité à imposer une norme, donc de sa faculté d’autorité. En même temps, d’un point de vue politique, le philosophe estime que la religion peut fort bien être utilisée par le législateur – s’il parvient à faire croire à ses concitoyens ce qui est utile pour préserver ou asseoir son autorité11. Toutefois, un peuple libre peut refuser l’adoration d’un roi. Ainsi, d’une part, Moïse est-il loué dans le TTP12 pour avoir imposé une religion superstitieuse ; mais, d’un autre côté, les Macédoniens sont loués pour refuser d’adorer Alexandre comme un Dieu13.



1 Voir Ethique, IV, 37, scolie 1, p. 253-254.

2 TTP, XII, p. 217.

3 Ibidem, XIV, 240-241.

4 Ibidem, p. 246.

5 Ibidem, XV, p. 251.

6 TTP, XIII, p. 229-230.

7 Cf. Léviathan, chapitres III-IV.

8 Ethique, I, 33, scolie 2, p. 57-59.

9 TTP, chapitre IV ; voir également la fin du chapitre VII, p. 157-158. 

10 Ibidem, p. 157.

11 Sur ce point également Spinoza est redevable au Machiavel des Discours, voir la section consacrée à la religion des anciens Romains, I, 11-15.

12 TTP, IV.

13 Ibidem, XVII.

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