Quelques remarques à propos de la vidéo du projet développé par Google de lunettes permettant d’accéder à une réalité augmentée :
http://www.youtube.com/watch?v=9c6W4CCU9M4
Mise en ligne le 6 avril, ce clip a été vu à ce jour près de 15 millions de fois ; en adoptant le procédé de la caméra subjective, il fait vivre au spectateur le raccourci de la journée d’un personnage appareillé de cette technologie qui permet au porteur de ces lunettes d’accéder en temps réel à des informations disponibles sur la toile, et, selon la logique du web 2.0, d’agir grâce aux divers services disponibles en ligne. Dans ce clip, la technologie est donc présentée à partir de ses usages possibles, et mieux encore : elle est exposée comme subjectivement intégrée, car liée à une existence personnelle caractérisée par ses modalités intentionnelles.
Ce point, déjà, apparaît remarquable : tout se passe comme si le clivage sujet-objet était dépassé par l’adoption d’une perspective que l’on peut qualifier de « phénoménologique ». Les intentions de la subjectivité et le caractère « objectal » de la technologie se voient en effet fondus dans un projet et dans sa réalisation. Pour persévérer avec le lexique phénoménologique, on pourrait dire que le clip met en scène la constitution du « monde » par l’intentionnalité subjective dotée de l’outil technologique. Ce que dit le clip de ce point de vue, c’est que les lunettes Google peuvent aider tout un chacun à se réaliser dans le réel grâce à l’appropriation de ce dernier par l’invention d’un monde propre. Par conséquent, la technologie n’apparaît pas seulement liée à des « commodités », ni même vectrice d’une émancipation : elle contribue manifestement à rendre le monde plus humain.
Un autre point requiert l’attention : dans la relation à autrui, les ressources propres à la réalité augmentée apparaissent sous-utilisées. Outre le fait de se doter des moyens destinés à réaliser son galant projet, le protagoniste emploie les services de la Toile pour obtenir des informations météo, pour se connecter à son agenda, pour se déplacer dans la ville, pour subvenir à ses besoins culturels. Lorsqu’il croise son ami pour prendre un café, et mieux encore lorsqu’il entre en relation avec son amoureuse, les multiples possibilités du web semblent passer au second plan. Tout se passe comme si l’agence de communication avait eu le dessein de préserver le rapport direct entre les subjectivités, en privilégiant leur apparente spontanéité et par là leur authenticité. Emerveillée par la créativité de son soupirant, la jeune femme à qui s’adresse le protagoniste lâche dans un soupir à la fin du clip « It’s Beautifull », et cette expression concerne finalement autant l’ambiance créée par le garçon (de son point de vue à elle, « féminin » et « romantique ») que le monde engendré par un tel usage de la réalité augmentée (de notre point de vue de spectateur ou de futur acheteur, du moins si l’on adopte l’injonction que nous fait Google). Or, si cette confusion est possible, si l’extase matérielle domine effectivement la fin du clip, c’est qu’imperceptiblement, le spectateur a intégré le point de vue de la demoiselle, et que la technologie sait particulièrement bien s’effacer dans son efficacité même. Bref, grâce aux lunettes Google nous sommes (re)devenus rousseauistes, puisque nous communions tout à la fois dans le rapport renouvelé aux éléments et dans la sublimation de la relation érotique.