La société de haute technologie qui est en train de se mettre en place au niveau mondial est régie par ce que je nomme le principe d'innovation. Selon ce principe, la valeur économique est produite par le fait que les meilleurs dispositifs technologiques sont mis à la portée de clients qui, par leur consentement à payer, valident la pertinence des innovations et qui, par les usages variés et inventifs qu'ils en font, modifient ces technologies.
Si on regarde les choses de loin, une telle relation, strictement technico-économique, guide aujourd'hui la dynamique de ce qu'on appelait autrefois le progrès : elle s'est substituée à ce dernier, qui, pour sa part, reposait sur une croyance et sur une forte aspiration éthique. La croyance était celle mise en la valeur de la connaissance scientifique pour l'amélioration de la condition humaine ; l'ambition éthique venait du fait que ce mot, "progrès", s'applique à la fois et comme indistinctement aux connaissances scientifiques, aux effets bienfaisants de la raison en termes d'organisation et à la promotion des valeurs morales désirables ou du bien. On a changé de paradigme : il convient de considérer que l'innovation, notion plus étroite que le progrès, représente un concept post-progressiste.
Doit-on pour autant laisser de côté l'aspiration éthique ? Bien sûr que non, et même tout au contraire ! C'est pourquoi j'ai proposé récemment à la rédaction de The Conversation cet article visant à mettre en relation le modèle économique de la société innovante et les théories de la justice issues de l’œuvre de John Rawls.
Une version approfondie de ce texte est en cours d'écriture, car il convient de détailler et de pluraliser les options : les théories de la justice, dans leur variété, de l'utilitarisme aux capabilités de Martha Nussbaum en passant par l’œuvre de Rawls et par le marxisme, représentent des options intéressantes. Et il s'agit d'une des pistes possibles pour entrevoir un monde meilleur (ou moins pire). D'autres, concernant l'éthique adaptée aux innovations (par le biais de leur usage) sont également nécessaires.