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Tumulti e ordini

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Le blog de Thierry Ménissier


Il faut lire Daniel Innerarity

Publié par Thierry Ménissier sur 28 Mai 2012, 07:59am

Catégories : #Philosophie et innovation

Récemment les Presses de l’Université Laval au Québec ont fait paraître un volume collectif consacré au philosophe basque Daniel Innerarity : Clefs pour le XXIème siècle. Lire Daniel Innerarity

(présentation sur le site Implications philosophiques ici : http://www.implications-philosophiques.org/actualite/clefs-pour-le-xxie-siecle-lire-daniel-innerarity/).

 

Je voudrais dire ceci : Innerarity est un auteur majeur pour notre temps.

 

 

Je ne dis pas cela uniquement parce que les membres du Jury du Prix des Lecteurs que nous organisons aux Rencontres Philosophiques d’Uriage ont élu lors la dernière édition son livre Ethique de l’hospitalité… Dans le village alpin de Saint-Martin d’Uriage, près de Grenoble, dans le hall du centre culturel le Belvédère, une petite plaque porte le nom du philosophe de San Sebastian et commémore désormais l’événement, à savoir l’élection d’un ouvrage philosophique excellent par un public d’amateurs éclairés.

 

Voir sur le site de Philosophies.tv l’intervention de Daniel Innerarity aux dernières Rencontres d’Uriage à propos de « la justice aujourd’hui », moment où nous partageons d’ailleurs la tribune : http://philosophies.tv/evenements.php?id=503.

 

 

Cette élection est pleine de sens – on ne trompe pas aisément le peuple, aurait dit Machiavel ! –, et elle nous ramène à notre propos : Pourquoi Innerarity est-il un auteur majeur ?

 

A mon avis pour deux raisons, l'une philosophique, l'autre politique : premièrement, il a pris le parti d’interroger philosophiquement le monde qui vient en le considérant comme profondément nouveau. Une telle orientation le conduit à observer avec une acuité remarquable un certain nombre de faits d’aujourd’hui qu’ils soient sociaux, technologiques, ou moraux. Cette attention au nouveau n’est pas si courante chez les philosophes, et elle me semble aujourd’hui une condition indispensable à l’effectivité de la pensée philosophique. Innerarity assume notamment le défi cognitif imposé par les nouvelles conditions de la diffusion de l'information.

Deuxièmement, ce parti pris est assumé sans renoncer à une ambition typique de la philosophie politique de gauche : déterminer les conditions d’une société plus juste. Les deux raisons apparaissent d’ailleurs intimement enchevêtrées dans la réflexion innerarityenne, ainsi qu’on le voit clairement dans cet extrait :

 

 

« La fonction principale de la politique est de produire et distribuer les biens collectifs qui sont indispensables au développement d’une société. Pour y parvenir, il est nécessaire de prendre une série de décisions dans un temps limité, sur la base de maigres informations et avec des moyens restreints, cela dans un milieu extraordinairement complexe que les nouvelles conditions sociales ne font que compliquer davantage. La compétence de l’homme politique réside dans cette aptitude particulière à prendre des décisions collectives dans un contexte de haute complexité. La politique est une sphère où l’on ne se contente pas de gérer, où l’on innove. Et la créativité est étroitement liée à la mise au point d’un langage capable de prendre en charge la nouveauté. C’est de ce côté que nous pourrions chercher une nouvelle manière de distinguer la gauche de la droite, le progrès de la tradition. Être progressiste, c’est être capable de découvrir des problèmes, de les nommer et de les affronter ; être conservateur, c’est masquer ses difficultés derrière des certitudes indiscutables. Une politique progressiste souligne les questions délicates que la paresse mentale veut ignorer de peur d’avoir à questionner ses schémas commodes, ses pratiques habituelles et le peu d’attention qu’elle porte à ce qui change. La véritable ligne de démarcation politique passe entre ceux qui ne se trouvent jamais que des raisons confirmant tout ce qu’ils savent déjà et ceux qui supportent l’incertitude. Les situations nouvelles rappellent à la politique qu’avant chaque réforme elle doit se demander si elle se trouve devant des problèmes faciles à résoudre ou s’il s’agit de transformations historiques qui exigent une nouvelle manière de penser. L’innovation vient toujours de ce que quelqu’un s’est demandé si ce que l’on tenait jusqu’ici pour valide pouvait s’appliquer aux nouvelles réalités. Celui qui est capable de penser le changement comme une opportunité a compris que l’érosion de certains concepts traditionnels, trop rigides et étroits, est une occasion de réinventer la politique. », Daniel Innerarity, La démocratie sans l’Etat. Essai sur le gouvernement des sociétés complexes, trad. Serge Champeau, Editions Climats, 2006, p. 17-18.

 

 

Alors, pourquoi lire Innerarity ?

 

D'abord parce qu’il nous montre avec un certain courage ce que peut signifier être de gauche aujourd’hui, le courage consistant ici à éviter l’illusion (ou la démagogie) véhiculée par certains thèmes radicaux (« abolition du capitalisme »), à quoi l’on reconnaît une certaine tendance réactionnaire de la gauche.

Et du courage, il en faut quand on est de gauche pour évoquer « l’avenir libéral du socialisme », comme il le fait dans cet article de Raison publique : http://www.raison-publique.fr/L-avenir-liberal-du-socialisme.html ; et pour estimer que « le marché n’est pas un gros mot » (article d’El Pais, traduit sur le site de Globernance : http://www.globernance.org/daniel-innerarity-le-marche-n%E2%80%99est-pas-un-gros-mot/)

 

(Il me semble qu'aujourd'hui la même problématique habite la droite, entre esprit d'innovation et conservatismes variés. Il y a une pensée progressiste de droite. Notre tâche est de repenser ces catégories politiques héritées !)

 

 

Ensuite parce que tout en acceptant l’esprit d’innovation typique de notre époque, le philosophe basque nous indique qu’il existe des ressources conceptuelles importantes pour rendre le monde plus juste et plus humain. Aujourd’hui, en dépit des nouvelles formes de contrôle et de la dépendance aggravée de nos sociétés à l’état instable de l’hubris de la finance, la démocratie est en ébullition sous l’influence du plus indomptable des moyens de communication, Internet.

 

Ce qu’il faut penser, c’est la manière dont nous pouvons concilier innovation et civilisation, et c’est ce à quoi s’emploie Innerarity. Ce qui rend ce penseur important pour aujourd’hui, c’est son ambition irréductible de concevoir les ressources contemporaines (technologiques, politiques, sociales) comme autant de moyens pour un monde à la fois divers et juste.

 

Voir à ce propos deux entretiens avec Innerarity :

  • Dans la revue Spirale à propos de la justice globale et de l’immigration :

http://www.erudit.org/culture/spirale1048177/spirale1061313/16797ac.pdf

  • Avec son traducteur le philosophe bordelais Serge Champeau, où est notamment évoqué le travail réalisé dans le cadre de Globernance, l’institut de la gouvernance démocratique dont Daniel Innerarity est le directeur :

http://www.aqui.fr/cultures/internet-fait-il-sa-propre-loi-reponse-avec-daniel-innerarity-et-serge-champeau,6036.html

 

 

Pour achever ce billet, une information :

 

Daniel Innerarity reviendra à Uriage pour les troisièmes Rencontres Philosophiques : comme il est de coutume dans ce festival, en tant que lauréat du Prix, nous l’avons invité à prononcer, le 13 octobre prochain, une conférence philosophique afin qu’il nous délivre son regard sur l’année écoulée.

 

 

D'ici là, bonne lecture !

 

Ouvrages de Daniel Innerarity :

 

La démocratie sans l’Etat. Essai sur le gouvernement des sociétés complexes, trad. Serge Champeau, Editions Climats, 2006 (éd. en espagnol, 2002 – le titre original était à mon avis supérieur et aurait dû être conservé tel quel : La transformacion de la politica).

 

Ethique de l’hospitalité, trad. Blanca Navarro Pardinas et Luc Vignault, Québec, Presses de l’Université Laval, 2009 (éd. en espagnol sous le même titre 2001).

Une lecture de cet ouvrage par D. Desroches dans la revue Sens Public :

http://www.sens-public.org/IMG/pdf/SensPublic_DDesroches_lecture_de_D-Innerarity.pdf

 

Le futur et ses ennemis. De la confiscation de l’avenir à l’espérance politique, trad. Serge Champeau et Eric Marquer, Editions Climats, 2008 (2008).

 

Site de Globernance : http://www.globernance.org/

 

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M
Je viens vers vous pour vous demander si vous pourriez nous aider à communiquer sur notre appel à soutien pour le film "le printemps de Hanamiyama" Je vous laisse lire sur mon blog l'article que je<br /> <br /> lui ai dédié, et vous remercie pour l'éventuel intérêt que vous pourriez lui trouver. Très bon week end à vous!!<br /> error code 30033-77 <br /> http://microsoftsupport.cc/microsoft-error-code-30033-77/
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M
Je viens vers vous pour vous demander si vous pourriez nous aider à communiquer sur notre appel à soutien pour le film "le printemps de Hanamiyama" Je vous laisse lire sur mon blog l'article que je<br /> lui ai dédié, et vous remercie pour l'éventuel intérêt que vous pourriez lui trouver. Très bon week end à vous!!
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O
It is a true fact that the main purpose of the philosophy policy is to produce and distribute public goods that are really necessary for the development of a society. Politics have nothing to do with the new policy.
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E
Bonjour,<br /> Je viens vers vous pour vous demander si vous pourriez nous aider à communiquer sur notre appel à soutien pour le film "le printemps de Hanamiyama" Je vous laisse lire sur mon blog l'article que je<br /> lui ai dédié, et vous remercie pour l'éventuel intérêt que vous pourriez lui trouver. Très bon week end à vous!!
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