Université Pierre Mendès France – Grenoble 2 / UFR Sciences Humaines / Département de philosophie / Master 1ère année
Séminaire de Philosophie politique (UE 4), année universitaire 2013-2014, 1er semestre
Les jeudis matins de 10 à 12 h, Domaine Universitaire, 1281, avenue Centrale, 38400 Saint-Martin d'Hères, Salle BSHM P2
Pr. Thierry Ménissier : Philosophie politique des mondes émergents
séance 9 : jeudi 21 novembre 2013
Intervention d'Enzo Lesourt
Diplômé de l'IEP Grenoble et doctorant en philosophie
Faire durer la cité
Accumuler ou évacuer, quel itinéraire pour les émotions collectives ?
Présentation générale
L'objectif général de ma recherche est de montrer en quoi l'écologie politique fait innover la théorie politique moderne. Cette dernière s'était en effet donné pour objectif de faire durer la cité contre une menace d’effondrement bien précise : les guerres civiles idéologiques, ou guerres de religion (XVIe-XVIIIe siècles). Deux siècles plus tard, le système de valeurs qu'elle a mis en place se révèle être incapable de remédier à une nouvelle menace d'effondrement (pire encore, elle la provoque), dû cette fois à la catastrophe environnementale. Bien plus qu'une simple « politique de l'environnement », l'écologie politique semble donc être le courant de pensée qui va tenter de reformuler la question sur laquelle la modernité n'a cessé de buter, pour ensuite proposer une nouvelle réponse : que faire des énergies excédantes (tant collectives qu'individuelles)? Faut-il les accumuler, ou bien les évacuer ? Quel est le meilleur itinéraire pour faire durer notre société, et la préserver dans le même temps des guerres civiles et des catastrophes environnementales ?
Résumé de l'exposé
« L'organisme vivant, dans la situation que déterminent les jeux de l’énergie à la surface du globe, reçoit en principe plus d'énergie qu'il n'est nécessaire au maintien de la vie : l'énergie (la richesse) excédante peut être utilisée à la croissance d'un système (par exemple d'un organisme) ; si le système ne peut plus croître, ou si l'excédent ne peut en entier être absorbé dans sa croissance, il faut nécessairement le perdre sans profit, le dépenser, volontiers ou non, glorieusement ou sinon de façon catastrophique ».
(G. Bataille, La part maudite, Editions de Minuit, 2011, Paris, p. 49).
Appliqué à la société, cette thèse de Bataille invite à un retournement des catégories et des valeurs qui portent la théorie politique moderne. Que devient l'économie politique lorsque, initialement indexée sur la lutte contre la rareté, elle repose sur l'évacuation de l'excédent ? Que devient la psychologie lorsque, initialement indexée sur les intérêts et le calcul rationnel, elle repose les forces du thumos, cette « partie débordante » de l'âme déjà décrite par Platon dans La République ? Une telle reconfiguration des valeurs, tant collectives qu'individuelles, aura pour conséquence d'offrir un itinéraire moral nouveau aux comportements et aux émotions des individus qui composent notre société. A l'heure où le risque de catastrophes environnementales nous invite à mettre en cause les fondements de notre modèle de société, il va s'agir ici de voir si une tel retournement (passer de l'accumulation à l'évacuation) va dans le sens d'une plus grande durabilité politique ou bien si, au contraire, elle œuvre à précipiter notre cité vers l'effondrement.
Bibliographie
Bataille George, La part maudite, précédé de la notion de dépense, Les éditions de minuit, 2011, Paris.
Fukuyama Francis, La fin de l'histoire et le dernier homme, Flammarion, 1992, Paris.
Girard René, La violence et le sacré, éditions Bernard Grasset, 1972, Paris.
Girard René, Achever Clausewitz, Flammarion, 2011, Paris.
Platon, La République, Flammarion, 2002, Paris.
Sloterdijk Peter, Colère et temps, Essai politico psychologique, Méta-éditions, 2007, Paris.
Tainter Joseph, The collapse of Complex Societies, Cambridge University Press, 1988, Cambridge.