Compte-rendu de : Laurent Bègue, Psychologie du bien et du mal, Paris, Odile Jacob, 2011, 361 p.
Paru en version portugaise dans Ousar integrar - revista de reinserção social e prova, n.º 11, 2012: 101-102
Dans son ouvrage, le Professeur Bègue envisage du point de vue de la psychologie sociale certaines grandes thématiques bien connues de la philosophie morale telles que la nature du moi moral, les
relations entre l’humain et l’animal relativement aux comportements sociaux, l’altruisme, l’apprentissage des normes, la rationalité des jugements moraux ou encore la tentation du mal. Ce
faisant, il prend le risque de faire se rencontrer deux disciplines, la psychologie sociale et la philosophie morale, apparemment proches mais historiquement distantes et surtout
épistémologiquement en désaccord. Si par ce geste, la première s’aventure en effet sur le terrain des valeurs et de l’éthique, domaine traditionnellement réservé à la seconde, elle le fait armée
de sa méthodologie propre : au fil de l’analyse, les questions morales topiques sont systématiquement revisitées à la lumière de nombreux résultats d’enquête et de dispositifs expérimentaux
variés mobilisant les aspects les plus divers de l’étude psychologique.
L’auteur substitue progressivement à la représentation courante d’une nature morale de l’humanité la thèse de la sociabilité profonde de cette dernière. La découverte d’espaces d’interaction
entre l’homme et l’animal, si elle amoindrit d’une certaine manière la différence anthropologique, n’a pas pour enjeu de révéler que les animaux sont moraux, mais de mettre en lumière l’influence
des comportements de groupe sur la constitution de la psychologie morale humaine (chapitre 3). L’origine sociale des conduites éthiques est confirmée par l’étude de l’apprentissage des normes et
du processus de leur intériorisation. Prendre en compte le rapport entre d’une part la conduite individuelle et de l’autre le système des rétributions et des punitions permet d’apercevoir que la
normativité des valeurs éthiques dépend du poids social du groupe sur les individus. Si la réflexion de Laurent Bègue semble par conséquent se teinter d’accents nietzschéens (dans La
Généalogie de la morale, le philologue allemand fut en effet l’un des premiers à soupçonner que le dispositif social des punitions avait pour fin d’inculquer le sens des valeurs morales par
le biais de l’intériorisation de la notion de faute), sa démarche ne s’attache nullement à une quelconque « psychologie des profondeurs », mais vise à élucider certains des tours par
lesquels la socialité fondamentale de l’homme engendre les modes observables de la conduite morale. Ainsi en va-t-il du phénomène du mimétisme (chapitre 6), grâce auquel l’altruisme émerge comme
dimension éthique – en d’autres termes, les conduites plus ou moins sociables ou violentes révèlent l’importance de la qualité de l’environnement dans lequel ont préalablement évolué les
individus. Et, en fonction d’une logique plus subtile, la volonté d’apparaître moral ou de sembler agir moralement (au prix parfois d’une forte hypocrisie subjective) constitue une
constante pour des êtres humains aux yeux desquels « l’ostracisme est [leur] hantise absolue » (p. 303). Par suite, la volonté d’appartenance à un groupe, le désir d’affiliation et le
besoin de reconnaissance produisent de multiples effets. D’une part, ils contribuent à la mise en œuvre du « théâtre moral » intime sur la scène duquel chaque individu se donne un rôle
avantageux (chapitre 10). De l’autre, ils constituent les ressorts des comportements de soumission à l’autorité, en particulier lorsque l’individu perd ses facultés d’autocontrôle. Et cela, bien
que ce dernier ne puisse être considéré comme un rempart définitif contre l’adoption de comportements violents ou cruels, ainsi que le montre par exemple l’expérience de Milgram (dans laquelle la
capacité d’autocontrôle apparaît comme un facteur aggravant en matière de soumission à l’autorité).
Ce qui apparaît troublant dans l’ouvrage de Laurent Bègue, c’est qu’à la lumière de l’étude du comportement humain, les normes
et principes éthiques que l’on pouvait croire les plus solidement installés ans le cœur humain (par exemple la préservation des enfants et l’empathie à l’égard des personnes manifestement
vulnérables) s’avèrent, dans de nombreuses situations, incapable de guider l’action et de structurer le jugement des individus ordinaires. Particulièrement, la notion de volonté morale (d’origine
théologique et philosophique) ne saurait représenter un tel principe car les phénomènes que l’on qualifie avec ce terme relèvent objectivement d’une construction toujours contingente entre des
motifs subjectifs et certaines circonstances favorables. Cependant un tel constat de ne remet nullement en question l’importance de la vie morale, car, au final, « le sens moral constitue un
produit adaptatif de l’évolution humaine. Nous sommes mentalement façonnés pour éprouver une forme de contentement lorsque nous agissons pour les autres » (p. 305).
Th. Ménissier
Disons que sur ces bases, le dialogue entre psychologie et philosophie est lancé !
Plus sur : http://societealpinedephilosophie.over-blog.com/