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Tumulti e ordini

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Le blog de Thierry Ménissier


Retour sur l'éleucratie : Scepticisme, savoirs et libertés

Publié par Thierry Ménissier sur 3 Décembre 2020, 09:08am

Catégories : #Ethique publique

Retour sur l'éleucratie : Scepticisme, savoirs et libertés

La revue en ligne The Conversation France a récemment publié mon article sur l'éleucratie, cette innovation conceptuelle que je désire promouvoir pour protéger - mais également pour contribuer à redéfinir - la liberté de penser.

Celle-ci en effet me semble aujourd'hui susceptible d'être attaquée de toutes parts. S'en prennent à elles bien entendu les divers conservatismes : conservatismes politiques, qu'ils soient de droite ou de gauche ; conservatismes religieux, dont la dernière et terrifiante version est l'actuelle ultra-violence exercée au nom de l'Islamisme politique.

Plus insidieusement, s'en prend à elle également le conformisme contemporain, sous sa forme la plus confortable, celle du faux esprit critique qui, sous l'effet d'une sorte de reflux des valeurs et d'un déni de certains des principes qui fondent notre mode de vie, se montre hostile à la fois au libéralisme, à la science et à la technologie.

Je ne dis pas que ces trois-là sont au-dessus de tout soupçon et exempts de tout reproche. Bien au contraire : leur association, dans le cadre de la dynamique de ce qu'on peut appeler la technoscience capitaliste, peut produire des catastrophes et appelle à la vigilance de l'esprit critique. C'est notamment pourquoi il m'a paru important de déterminer philosophiquement la notion d'innovation qui a succédé au progrès en tant que paradigme dominant les relations entre la science et la société.

A cet égard, ainsi que je l'explique dans l'article sur l'éleucratie, louée soit la dissidence de pensée autorisée par l'espace quasi-sacré de la démocratie ! Mais à condition que la contribution exprimée soit réellement ce qu'elle prétend être, c'est-à-dire intellectuellement intéressante plutôt qu'idéologique.

On reconnait en effet une prise de position réellement individuelle au fait qu'elle est créatrice d'un sens renouvelé. De ce point de vue, la posture individuelle du sceptique et sa manière de questionner la société dont il est contemporain constituent souvent un “pas de côté”, qui est toujours comme la première création philosophique de son auteur. Et la première question qu'il adresse à sa société . Et cela bien que le courant sceptique soit - et c'est parfaitement cohérent avec son esprit même - très hétérogène : il n'y a pas à proprement parler d'"école" sceptique. Montaigne, Hume, Russel, Rosset, Rorty et le maître de tous en matière de "raison corrosive", Pierre Bayle, adressèrent des questionnements aigus à leurs contemporains en fonction du choix de leur point de vue, en lui-même iconoclaste. C'est ce qu'avait bien montré Frédéric Brahami dans son excellent livre Le Travail du scepticisme (2001).

Bien entendu, la créativité dans l'ordre de la pensée philosophique (et l'ironie qui va souvent avec !) se paient très souvent d'une forme d'isolement ou de non-reconnaissance de la part des communautés installées. Les sceptiques ont toujours constaté combien leur positionnement était irrecevable tant pour les Églises que pour les Académies universitaires. Si bien que souvent, le sceptique est inséré dans la société civile. Mais aujourd'hui, sous l'effet du conformisme démocratique (comme aurait dit Tocqueville), d'autres facteurs d'exclusion sont apparus en Europe : l'industrie de l'édition des livres en perte de vitesse favorise la production en masse d'essais tonitruants mais convenus, obéissant à un "effet de collections" qui permet quasiment - n'était la précaution sceptique -  de savoir ce que contient un ouvrage avant même de le lire. En lisant attentivement son titre et en identifiant le "public-cible", comme disent nos amis du marketing, on sait déjà ce que l'auteur va dire...et ne pas dire !

Il est plus que jamais nécessaire de persévérer dans la recherche d'idées neuves. "Pensée tendue" qui n'échappe pas aux contradictions qu'elle dénonce (comme le souligne encore Frédéric Brahami dans une autre contribution), l'esprit sceptique est plus que jamais nécessaire pour réinventer nos manières de penser dans un monde en transformation (à propos du rapport entre la libre pensée et la religion, à propos de l'apport des technologies innovantes). Cet esprit constitue pour moi moins une fin en soi que ce "premier pas vers la connaissance" évoqué par Denis Kambouchner à propos de Descartes.

Mon intention en éthique publique et en philosophie politique est d'examiner la conjugaison de certains aspects du rationalisme et de certains aspects du scepticisme afin de dégager un standard d’“existence honnête”, forme de vie sociale nourrie par le meilleur état des savoir et des techniques, dans une perspective qui permet de penser une vie citoyenne éclairée, à la fois critique et capable de garder espoir.

Alors que les sceptiques ont souvent incarné une position politique conservatrice, quel peut être aujourd'hui l'apport du scepticisme en théorie politique ? Nous nous étions essayés, il y a quelques années, à répondre à cette question avec Karine Laborie, en invitant dans un dossier de la revue Éthique, politique, religions des spécialistes à apporter leur contribution. J'avais moi-même réfléchis dans ce volume à la constitution de la posture du "citoyen sceptique" dans le contexte de démocraties qui connaissent la crise du progressisme.  

Bien entendu, j'ai conscience de ce qui est actuellement la dimension politiquement faible de ma définition de l'éleucratie. Je me trouve en débat sur cet aspect. La perspective que j'adopte avec le scepticisme en politique est de le voir ou de le faire contribuer à rendre les citoyens à la fois lucides sur les capacités de la raison (réelles mais pas spontanément toutes-puissantes ni peut-être infinies) et confiant dans le progrès des savoirs.

 

 

 

 

 

 

 

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